« Les enseignements tirés de la crise grecque restent-ils valables pour les pays d’Afrique ? »

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TRIBUNE. Il y a 14 ans, l’article intitulé «Comprendre la crise grecque et ses enjeux: quelques enseignements pour les pays africains», paraissait dans l’hebdomadaire La Semaine Africaine avec un objectif simplement pédagogique. Il avait été retenu comme sujet d’économie au concours d’entrée au programme bilingue (français-anglais) de haut niveau du Mastère en Banque et Finance du CESAG à Dakar, par le Pr Boubacar Baidari, son ancien Directeur Général, Doyen à l’Université de Niamey (Niger). Une reconnaissance infinie lui est due pour avoir reconnu la pertinence et l’intérêt du sujet dont les enseignements restent d’une actualité factuelle.

Le cabinet conseil en stratégie des entreprises et financement des projets, BT Integral Consulting, toujours dans une perspective pédagogique, reprend à son compte les leçons tirées de cette crise pour l’Afrique à l’aune des récents développements de la situation économique internationale, marquée par la guerre en Ukraine, la crise énergétique, poussant à une forte inflation
et à l’explosion des déficits publiques des Etats.

Les causes de la crise grecque en bref.

L’Asie a réussi à sortir de la crise économique déclenchée fin 2008 (la crise des ‘’subprimes’’), mais les Etats européens y sont toujours englués. Ils se sont énormément endettés pour résorber cette crise. Les politiques budgétaires menées en Grèce depuis plusieurs années par les gouvernements qui se sont succédé ont accru son endettement.

La Grèce veut entrer dans la zone euro. Il lui faut coûte que coûte se conformer à quelques critères dits de convergence de l’Europe: présenter un déficit public au plus égal à 3% de son produit intérieur brut (PIB) et une dette inférieure à 60% de son PIB.
Dans cette perspective, la Grèce parvient à maquiller ses comptes, notamment sa dette publique colossale grâce à la complicité de la non moins célèbre banque d’affaires américaine, Goldman Sachs.

La révélation, par son chef de gouvernement, du déficit budgétaire réel de la Grèce a plongé les marchés financiers dans l’émoi, et un vent de panique s’est emparé de toute l’Europe. Les Européens craignent que la dégradation de l’économie grecque ne mette en péril, par effet d’assimilation, celles des pays comme l’Espagne, l’Irlande et le Portugal, eux aussi en grande difficulté économique.

La situation économique actuelle de la Grèce.

La crise grecque est passée. L’économie Grecque s’est sans doute passablement redressée à en juger par ses performances macroéconomiques actuelles. En 2022, elle a réussi à rembourser ses prêts accordés par le FMI avec deux ans d’avance. Le pays n’est plus sous surveillance financière de l’Union Européenne (UE).

Un taux de croissance du PIB égal à 5.9% (contre une moyenne européenne de+1%) en 2022, +2.4%(+1%) en 2023 et 1.9% (+1.7%) prévu en 2024. (Source: commission européenne). Un endettement toujours élevé, accentué par la crise du covid, mais en légère régression. Il est resté stable entre 2011(175% du PIB) et 2019(173% du PIB) et se situe autour de 165% du PIB en 2023. Un taux de chômage fort mais en baisse, soit 12,6% en 2023. (Prévisions OCDE cité in leschos.fr).

La Grèce est parvenue à atteindre ces performances grâce aux politiques budgétaires restrictives que lui avaient imposées l’union européenne et le FMI, appuyées par des restructurations de dettes, mais aussi en raison de la volonté de ses acteurs politiques.

Les leçons que les pays africains peuvent tirer de cette crise.

La crise grecque était édifiante sur les aspects relatifs à l’universalité des problématiques des équilibres budgétaires et financiers; au caractère pernicieux d’un endettement excessif qui conduit les Etats à ne pas prendre des mesures en faveur de la réduction de leur train de vie injustifié; la qualité des statistiques budgétaires et financières encore peu fiables; et la nécessité de faire accompagner toute création d’union monétaire d’un pacte de stabilité budgétaire et de croissance.

L’universalité des questions des équilibres budgétaires.

Les déséquilibres budgétaires ne sont pas seulement inhérents aux pays africains engagés dans des programmes d’ajustement structurels (PAS), conséquence d’une gestion chaotique de leurs finances publiques et d’un faible niveau de diversification de leurs économies encore trop dépendantes des matières premières et d’un secteur informel prépondérant (faiblesse des recettes fiscales).

La question de la dette et du déficit budgétaire devient de plus en plus préoccupante dans les pays développés notamment au sein de certains pays de la zone euro. Car ces paramètres caracolent à des niveaux jamais atteints en temps de paix depuis la fin de la dernière guerre mondiale. De même, les pratiques de quelques pays européens en matière de gestion de la dette se rapprochent à s’y méprendre de la finance dite Ponzi, du nom du tristement célèbre financier américain des années 1920 qui assurait le remboursement des clients avec les dépôts des nouveaux souscripteurs jusqu’à ce que la pyramide s’écroule.

Des pays européens, qui n’ont jamais eu un budget à l’équilibre depuis 40-50 ans, empruntent chaque année des sommes énormes pour rembourser des emprunts antérieurs arrivés à échéance. En faisant rouler leur dette, ces Etats courent le risque d’un défaut de paiement lorsqu’il n’y aura plus aucun nouveau prêteur en face. Heureusement que la banque centrale européenne (BCE) peut
venir en aide à un Etat en cessation de paiement par des politiques monétaires accommodantes.

La situation des finances publiques et de l’endettement de certains pays occidentaux demande la mise en place en leur faveur d’un PAS, comme cela est advenu en Afrique. De plus, de même qu’une entreprise privée s’endette pour investir et rembourser sa dette à partir des revenus générés par son investissement, de la même manière l’endettement d’un État doit s’auto-rembourser à terme. En principe, l’État s’endette parce que la dette est génératrice de revenus futurs et de croissance qui la rembourseront.

Cependant, ce qu’il se passe dans plusieurs pays d’Europe, comme en Afrique d’ailleurs, c’est que les dettes évoluent plus vite que le PIB. Cela signifie que la dette, qui a vocation à s’auto-amortir, sert à financer la consommation (salaires, aides sociales, sécurité sociale, etc.) plutôt que l’investissement. On y mène donc un train de vie au-dessus des moyens de ces Etats.

L’Allemagne a réussi l’exploit de ramener sa dette publique brute à 66% du PIB en 2023 (64% en 2024) alors qu’elle avait atteint 87% du PIB en fin 2012 parce que, entre autres raisons, elle faisait des emprunts pour financer des investissements dont les retombés confortent ses performances économiques et son positionnement international actuels de 3ème puissance mondiale.(www.ofce.sciences-po.fr et Statista Research Department, mars 2024).

Il faut souligner le caractère préjudiciable du surendettement qui a poussé la Grèce à vivre au-dessus de ses moyens comme font la plupart des économies africaines qui ploient encore aujourd’hui sous le poids d’un endettement colossal, leur laissant très peu de marge de manœuvre pour des investissements dans des programmes sociaux, susceptibles d’améliorer le niveau de vie des populations. Les pays africains sont toujours engagés dans des programmes dits de facilité élargie de crédit ou PAS, même si la terminologie a changé. Ces programmes qui sont passés par plusieurs appellations souvent pour redorer l’image un peu ternie des institutions de Breton Wood (FMI, Banque Mondiale) restent des PAS.

En conséquence, pour des pays fortement endettés, il faut, en plus des politiques budgétaires restrictives, une croissance plus forte et durable pour amortir leur dette. C’est loin d’être gagné d’avance en Afrique au regard du faible niveau de diversification et de développement de son économie.

De la qualité des statistiques budgétaires et financières.

La performance des appareils statistiques des Etats, à l’instar de celle des pays en développement, laisse à désirer. En produisant de fausses statistiques budgétaires et financières, la Grèce avait affiché des comportements analogues à ceux que l’on stigmatise encore en Afrique.

Par ailleurs, la falsification des statistiques finit toujours par rattraper ses auteurs. Un pays qui masque l’ampleur de ses déséquilibres budgétaires, cela aura des effets sur son niveau des prix et le taux de change de sa monnaie, c’est à dire son cours par rapport à une autre. En effet, si les déficits publics sont financés par de la monnaie (avances du trésor aux Etats) il y aura une montée de l’inflation provoquée par le supplément de monnaie et de surcroît le pouvoir d’achat créés.

De même, ces manipulations de chiffres rejailliront tôt ou tard sur le taux de change de la monnaie.
La monnaie créée va impacter le marché domestique des biens et services tandis que la faible réponse des productions internes, peu élastiques, va accroître les importations, lesquelles vont influencer la demande des devises et par conséquent tirer à la baisse la valeur de la monnaie locale. Cela se passe en régime de change flexible alors qu’en régime de change fixe, c’est la banque centrale qui fournit la différence dans la demande de devises.

La problématique du renforcement des capacités du personnel garant de la production des statistiques économiques et financières demeure une priorité de taille en Afrique. Il faut la traiter sérieusement, au besoin avec le soutien des partenaires au développement (Banque Mondiale, FMI, BAD, etc.) qui apportent déjà leurs concours techniques et financiers dans le domaine.

Quid de la nécessité de faire accompagner toute création d’union monétaire d’un pacte de stabilité budgétaire et de croissance ?

Ce dernier point est en résonnance avec l’actualité du moment marquée par les velléités exprimées par plusieurs pays africains, notamment en Afrique de l’ouest (Mali, Sénégal, Burkina Faso, Niger), de quitter la zone CFA et de créer leur propre monnaie.

Entre autres défis à relever pour réussir une telle démarche et soutenir une monnaie, il y a celui de la définition et du respect des critères de convergence (déficit budgétaire, taux d’intérêt, niveau d’endettement, inflation); le pari de la diversification et de l’industrialisation des économies, du développement du commerce intra-communautaire; gages d’une croissance forte et durable. Ce sont des challenges relevant du domaine du possible, à condition que les pouvoirs publics en Afrique y mettent un peu de volonté, et compte tenu des richesses importantes que regorge le continent (mines, pétrole, gaz, démographie, terres agricoles, etc.)

En définitive, il est très facile de ruiner un pays pauvre, de même un pays riche qui fait de mauvais choix de politique économique fondée sur un endettement immodéré peut être ruiné, comme c’est le cas avec l’Argentine qui ne parvient pas depuis plusieurs années à se dépêtrer de ses multiples crises.

Aurélien Damase Bouithy-Tchignoumba

BT Integral Consulting
(Stratégie – Financement de Projets)
bouithy2@gmail.com
bticinfos@gmail.com
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Pour une lecture intégrale de l’article « Comprendre la crise grecque : quelques enseignements pour les pays africains » bien vouloir télécharger le document pdf ci-dessous.

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